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Création d’une bulle et gestion des équipes en centre de soins

INTRODUCTION

À l’ère du COVID-19, nous lançons Radio Cochin, des séquences courtes et des messages clairs sur le coronavirus pour nos collègues de ville.

Je suis Docteur Vincent Mallet, médecin à Cochin, Professeur des Universités de Paris et je m’entretiens avec le Docteur Hervé Lefèvre, pédiatre à la Maison des Adolescents de Cochin.

Retour d'expérience

DR MALLET : Docteur Lefèvre, merci de parler sur Radio Cochin. Vous vous êtes mis à disposition des équipes COVID de Cochin, vous avez coordonné une structure qui s’appelle AVEC et vous avez créé une bulle à Port-Royal.

Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est une bulle et nous faire un retour d’expérience sur ces 6 dernières semaines ?

DR HERVÉ LEFÈVRE : Oui, tout à fait.

La bulle de Port-Royal a été créée deux semaines après la mise en route de la cellule AVEC. AVEC c'était Aller Vers des Equipes COVID. C’est le directeur de crise du CHU, le Professeur Alain Cariou, qui a fait cette demande pour évaluer l'état d’émotion, de tensions et de fatigue des équipes soignantes médicales, non médicales, techniques et autres face à la situation liée au COVID.  

Nous avons donc pu nous déployer auprès des personnels – à la demande du chef de service et en accord avec leurs cadres de façon à ne pas désorganiser davantage les soins – lors de moments informels, comme a dû vous l’expliquer le Docteur Minassian lors d'une interview passée.

Et puis, compte tenu de la situation et du stress lié au lieu de travail, l'idée est venue de créer un endroit un peu hors les murs, en dehors des stress, des bips, des téléphones. Avec l'accord de la direction – qui a été très synergique à ce projet – nous avons pu monter la bulle de Port-Royal. 

Elle se situe dans un cloître, un endroit qui est une transformation de deux salles, l'une de sport et l’autre de shiatsu. Il faut donc imaginer un cloître du 12ème ou 13ème siècle, avec de la pelouse, des fleurs, du ciel bleu, totalement à l'écart de tout, où les soignants sont invités à réaliser des activités telles que la kinésithérapie douce, la sophrologie, le shiatsu, le pilates ou la relaxation.

Ils y sont invités 12h chaque jour, de 9 à 21h, avec des créneaux de 20 minutes toutes les demi-heures. C’est l'occasion de rencontres informelles et d'activités de détente pour ces soignants qui viennent d’ailleurs souvent en équipe.

Aujourd'hui, ils vivent une double contrainte : celle de l'intensité de la pandémie de COVID et celle de l'impossibilité concomitante de pouvoir décompresser, faire du sport, sortir ou juste penser à autre chose. C’est que titrait précisément un journal récemment : « Je mange COVID, je dors COVID, je travaille COVID ».

La bulle est donc un espace un peu à part où ils peuvent s'isoler et se déconnecter de ce monde stressant. C’est fait pour leur permettre de tenir, de se régénérer, de discuter, de partager. 

Nous avons eu des retours plutôt bons de leur part et c’est toujours assez impressionnant de voir des soignants qui donnent tout, nous remercier pour un petit moment de tranquillité et de décompression.

DR MALLET : Vous avez donc eu un bon retour d'expérience avec des gens qui sont venus vers vous, à qui cela a fait du bien, et qui sont revenus après.

DR HERVÉ LEFÈVRE : Oui, nous avons eu globalement un bon retour d'expérience. Sur deux semaines, il y a en effet eu 333 passages de soignants. Quand je dis soignants, je veux dire tout personnel.

Je pense que c'est important et d'ailleurs assez cocasse, si j'ose dire, de voir dans une même salle différentes professions et fonctions à l'hôpital qui partagent en même temps un instant de détente et de cohésion.

Notre profession a connu des moments un peu complexes à la fin de l'année, au niveau social et de demande de moyens. Elle a subi ensuite deux mois de grève qui l'a beaucoup fatiguée et qui a nécessité que certains soignants parcourent quotidiennement de grandes distances en transport en commun ou en voiture.

Et maintenant, il y a cette phase d’infection qui nous frappe en pleine tête et ça fait beaucoup. Il y a donc un vrai besoin de prendre soin de ces équipes soignantes dans leur ensemble, en allant du chef de service à l'externe, au niveau médical, du cadre supérieur à l’élève, quel qu'il soit, au niveau paramédical. 

Bref, il y a un besoin de prendre soin de tout le monde parce que nous prenons tous dans la figure une crise extrêmement violente, inconnue de tous et qui risque de durer. Il faut donc ménager ses forces et essayer de pouvoir se mettre en situation de tenir le plus longtemps possible. Quoi qu'il en coûte.

DR MALLET : Êtes-vous prêts pour une potentielle deuxième vague ? Allez-vous maintenir la bulle va à Cochin après le déconfinement ?

DR HERVÉ LEFÈVRE : C'est une discussion qui est en cours. Au début déjà, la bulle n’était pas un pari gagnant pour tout le monde. Le fait que ce soit idée qui était partagée est un premier point très important pour la direction des ressources humaines puisque c'est avec elle que je travaille au-delà de la directrice de Cochin. Maintenant, il va falloir effectivement réfléchir à la suite.

Il est prévu que nous parlions de la bulle en cellule de crise cette semaine ou la semaine prochaine pour évaluer son impact et la possibilité qu'elle dure d'une façon ou d'une autre, en sachant, comme vous dites, que le déconfinement progressif a amené les différents participants à se redéployer dans leurs activités personnelles. 

Moi le premier, de façon à reconsulter des adolescents et de voir comment il est possible de maintenir ce lieu qui devient de plus en plus important pour les soignants dans la situation actuelle.

Peut-être que le déconfinement, s'il est suffisant, leur permettra de retrouver une respiration à l'extérieur de l'hôpital qui compensera les tensions accumulées. Mais dans le cas où ce serait difficile à faire, la bulle aurait effectivement encore toute sa place dans les prochaines semaines.

DR MALLET : D’accord. Avez-vous des soutiens extrahospitaliers ? Les gens connaissent-ils la bulle ? Se positionnent-ils pour vous soutenir ?

DR HERVÉ LEFÈVRE : Oui nous avons beaucoup d'aides. D’abord au niveau institutionnel et j'insiste dessus parce que je pense que sans l'appui de la direction et au plus haut niveau, les choses auraient été compliquées. Il y a eu un effet facilitateur majeur. 

Je ne suis pas du genre à faire trop de compliments, mais il est ici notoire que Aude Boilley Rayroles a été stratégique dans la mise en place de ce projet une fois qu'elle avait compris les enjeux que nous avions parlé les yeux dans les yeux.

Ensuite, la DRH s'est mise à disposition avec ses psychologues et assistantes sociales qui font une permanence, qui sont des superviseurs. 

Il y a eu beaucoup d'autres personnels mobilisés comme des pédiatres de la Fondation Santé Etudiants de France, des pédopsychiatres de Necker, des psychiatres de la Maison des Adolescents. Beaucoup de personnels sont présents et se relaient pour faire tourner la bulle. 

Ensuite, il y a beaucoup d'intervenants puisque ce sont eux que nous venons voir de façon préférentielle : la dizaine de kinés qui fait partie de la ressource sanitaire externe qui ont été volontaires pour venir. Je les ai rencontrés un vendredi après-midi, deux jours avant l'ouverture pour s’accorder et tout planifier. 

Il y a énormément de monde : des enseignants de pilates, des sophrologues, des personnes qui font du shiatsu. Nous sommes environ 25 ou 30 personnels qui accueillons à tour de rôle les soignants qui viennent à la bulle.

Concernant les aides, nous en avons eu de l'hôpital via la DRH, de gros groupes comme le Groupe Pasteur Mutualité ou de mécènes. Ce sont sponsors qui nous permettent de partager du café, des fruits, des jus, des produits laitiers. 

En bref, de partager des choses qui font plaisir et que nous distribuons dans le cloître en courant après les gens qui qui s’en précipitamment car ils sont pressés. Nous ne sommes plus dans les œufs de Pâques parce que là, il y a saturation de chocolat (rires) mais nous accordons beaucoup d’importance à ces moments d’échange au sens propre comme au sens figuré.

DR MALLET : C'est très intéressant. Y a-t-il d’autres bulles à votre connaissance ?

DR HERVÉ LEFÈVRE : Oui bien sûr ! Au début, l'idée de la bulle a précédé le nom. Nous cherchions un nom : « entre parenthèses », « entractes », etc. Mais nous trouvions que tout cela était bien moche.

Et en fait, c’est une interne urgentiste de notre service qui allait apporter du renfort en médecine interne à Saint-Joseph qui m'a envoyé un SMS en me disant : « Il y a une bulle à Saint-Joseph et cela ressemble beaucoup à ce que tu comptes mettre en place ».

À ce moment, il s'est trouvé que ce mot, « la bulle », était tout simplement génial. Je ne sais pas si c'est Saint-Joseph qui en a la primauté. Mais peu importe, c'est le terme qui convient.

DR MALLET : De  la bienveillance. Enfin !

DR HERVÉ LEFÈVRE : De la bienveillance, du soutien, de l'empathie. C’est soigner ceux qui soignent. Cela dit, nous ne sommes pas à la pointe du combat et il ne faut donc pas non plus donner trop d'importance à ce que nous faisons. 

Ce qui est ce qui est important, c'est ce que les soignants font au lit du malade. Ça, c'est le vrai combat. Nous, nous sommes plutôt dans l'intendance et dans le soutien.

Présentation du cas clinique

DR MALLET : C’est formidable et ça fait aussi partie du système. Merci beaucoup, docteur. Voici maintenant la question d’un médecin généraliste à Bourg-la-Reine.

Je travaille dans un centre de soins où nous sommes 6 médecins généralistes et deux infirmières. Pour être tout à fait honnête, nous avons beaucoup donné pour le COVID ces six dernières semaines. Nous nous sommes bien organisés et tout s’est plutôt bien passé pour faire face à cette vague épidémique, mais nous avons énormément donné. 

Nous avons écouté notre premier ministre cette semaine et nous avons compris que ça n'allait pas être un sprint mais plutôt un marathon. Globalement, il faut s’attendre à une deuxième vague mais nous sommes aujourd’hui très fatigués. Que me conseillez-vous pour que mes équipes tiennent ?

Réponse et discussion

DR HERVÉ LEFÈVRE : Nous sommes ici dans une situation un peu différente car hors hôpital, non institutionnelle, avec ses avantages et ses inconvénients.

Dans tous les cas, la première des choses à envisager est le repos des personnels. Il faut que certains puissent prendre des vacances avant que le feu ne reprenne s'il doit reprendre.Il faut probablement organiser des moments de repos de façon assez structurée, répartis entre les différents praticiens. 

Après, du fait du déconfinement, si les moments de détente et de repos sont insuffisants, il faut peut-être réfléchir à une bulle propre à chaque institution ou chaque cabinet médical. Ce serait un lieu de relaxation, de détente, de bien-être, de façon à pouvoir garder des forces, pouvoir continuer à lutter contre cette infection et contre ce rythme très soutenu.

Il faut aussi pouvoir limiter le risque que ces médecins tombent eux-mêmes malades du fait de la fatigue et des moindres précautions. Car nous savons qu’à force de beaucoup travailler, nous sommes amenés à moins nous protéger, à être moins systématiques et donc à risquer de tomber malade.

Il faut donc essayer d'agir sur les fonctions vitales que sont le sommeil, l'alimentation, et les choses qui permettent de réguler ou compenser les émotions que nous emmagasinons à travers les médias, notre patientèle, les relations, la famille, etc. Il faut impérativement trouver des moments pour se ressourcer.

Il faut voir si à Bourg-la-Reine, il y a des kinésithérapeutes susceptibles de pouvoir leur faire quelques massages, un sophrologue susceptible de pouvoir leur donner un moment de relaxation, quelqu'un qui puisse leur faire un peu de kinésithérapie douce ou du shiatsu ou n'importe quelle autre forme de médiation corporelle qui permet d'accéder à une détente. 

Sans aller voir un psychiatre chez qui ils peuvent s’effondrer de façon tout à fait légitime dans certaines situations et pour certaines personnes.

Tout cela pour tenir, tenir, tenir. Jusqu'au moment où une thérapeutique ou un vaccin aura pu prendre le relais. Cela va prendre un certain temps malgré les efforts qui sont réalisés par nos collègues en recherche.

DR MALLET : Il est donc important d’organiser nos plannings pour se retrouver ensemble, se parler, se poser dans un canapé, écouter de la musique et puis faire des activités physiques douces ressourçantes.

DR HERVÉ LEFÈVRE : Absolument. Et aussi être avec ses proches, si tant est qu’ils puissent encore supporter la présence de quelqu'un qui est susceptible d'avoir contracté le virus.

En effet, beaucoup de soignants, quels qu'ils soient, ont cette épée de Damoclès au-dessus de la tête qui peut être difficile à vivre vis-à-vis des proches et qui peut entraîner un sentiment d'isolement. 

Toutefois, si ce sentiment d'isolement n'existe pas, il faut profiter de ces moments familiaux : essayer de faire des choses ensemble pour mettre à distance cette ambiance COVID très envahissante.

Message de fin

DR MALLET : Envahissante, c’est le mot. Merci beaucoup pour ces conseils. Avez-vous un dernier grand message pour ce cas clinique ?  

DR HERVÉ LEFÈVRE : Nous avons tous découvert quelque chose d’inouï. Nous nous sommes tous précipités pour essayer d'agir sur cette maladie en espérant qu'elle serait de courte durée, ou en tout cas, pas aussi longue.

Beaucoup de forces ont été données pour soigner, pour sauver et souvent pour accompagner des deuils. Tout le monde y donc a laissé beaucoup, physiquement et émotionnellement.

Mais du fait que le combat risque de durer encore, il faut probablement changer de vitesse et essayer d'être plutôt sur un rythme d'endurance que sur le sprint engagé initialement. Il faut pouvoir s'adapter, s'ajuster aux poussées de l'épidémie - ou à quelque chose de plus contrôlé, j’espère – de façon à faire les choses progressivement.

Afin de pouvoir, a posteriori, dire que nous avons réussi à tenir parce que nous avons pu doser l'effort que nous demandait cette infection.

DR MALLET : Merci beaucoup. C'est très important ce que vous faites et nous n'hésiterons pas à vous rappeler si nos auditeurs nous font remonter des questions. Ou seulement essayer de faire notre propre bulle pour essayer de tenir sur le long terme.

Retranscription complète
Il n'y a pas encore de retranscription écrite pour cet épisode

À l’ère du COVID-19, nous lançons Radio Cochin, des séquences courtes et des messages clairs sur le coronavirus pour nos collègues de ville.

Je suis Docteur Vincent Mallet, médecin à Cochin, Professeur des Universités de Paris et je m’entretiens avec le Docteur Hervé Lefèvre, pédiatre à la Maison des Adolescents de Cochin.

DR MALLET : Docteur Lefèvre, merci de parler sur Radio Cochin. Vous vous êtes mis à disposition des équipes COVID de Cochin, vous avez coordonné une structure qui s’appelle AVEC et vous avez créé une bulle à Port-Royal.

Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est une bulle et nous faire un retour d’expérience sur ces 6 dernières semaines ?

DR HERVÉ LEFÈVRE : Oui, tout à fait.

La bulle de Port-Royal a été créée deux semaines après la mise en route de la cellule AVEC. AVEC c'était Aller Vers des Equipes COVID. C’est le directeur de crise du CHU, le Professeur Alain Cariou, qui a fait cette demande pour évaluer l'état d’émotion, de tensions et de fatigue des équipes soignantes médicales, non médicales, techniques et autres face à la situation liée au COVID.  

Nous avons donc pu nous déployer auprès des personnels – à la demande du chef de service et en accord avec leurs cadres de façon à ne pas désorganiser davantage les soins – lors de moments informels, comme a dû vous l’expliquer le Docteur Minassian lors d'une interview passée.

Et puis, compte tenu de la situation et du stress lié au lieu de travail, l'idée est venue de créer un endroit un peu hors les murs, en dehors des stress, des bips, des téléphones. Avec l'accord de la direction – qui a été très synergique à ce projet – nous avons pu monter la bulle de Port-Royal. 

Elle se situe dans un cloître, un endroit qui est une transformation de deux salles, l'une de sport et l’autre de shiatsu. Il faut donc imaginer un cloître du 12ème ou 13ème siècle, avec de la pelouse, des fleurs, du ciel bleu, totalement à l'écart de tout, où les soignants sont invités à réaliser des activités telles que la kinésithérapie douce, la sophrologie, le shiatsu, le pilates ou la relaxation.

Ils y sont invités 12h chaque jour, de 9 à 21h, avec des créneaux de 20 minutes toutes les demi-heures. C’est l'occasion de rencontres informelles et d'activités de détente pour ces soignants qui viennent d’ailleurs souvent en équipe.

Aujourd'hui, ils vivent une double contrainte : celle de l'intensité de la pandémie de COVID et celle de l'impossibilité concomitante de pouvoir décompresser, faire du sport, sortir ou juste penser à autre chose. C’est que titrait précisément un journal récemment : « Je mange COVID, je dors COVID, je travaille COVID ».

La bulle est donc un espace un peu à part où ils peuvent s'isoler et se déconnecter de ce monde stressant. C’est fait pour leur permettre de tenir, de se régénérer, de discuter, de partager. 

Nous avons eu des retours plutôt bons de leur part et c’est toujours assez impressionnant de voir des soignants qui donnent tout, nous remercier pour un petit moment de tranquillité et de décompression.

DR MALLET : Vous avez donc eu un bon retour d'expérience avec des gens qui sont venus vers vous, à qui cela a fait du bien, et qui sont revenus après.

DR HERVÉ LEFÈVRE : Oui, nous avons eu globalement un bon retour d'expérience. Sur deux semaines, il y a en effet eu 333 passages de soignants. Quand je dis soignants, je veux dire tout personnel.

Je pense que c'est important et d'ailleurs assez cocasse, si j'ose dire, de voir dans une même salle différentes professions et fonctions à l'hôpital qui partagent en même temps un instant de détente et de cohésion.

Notre profession a connu des moments un peu complexes à la fin de l'année, au niveau social et de demande de moyens. Elle a subi ensuite deux mois de grève qui l'a beaucoup fatiguée et qui a nécessité que certains soignants parcourent quotidiennement de grandes distances en transport en commun ou en voiture.

Et maintenant, il y a cette phase d’infection qui nous frappe en pleine tête et ça fait beaucoup. Il y a donc un vrai besoin de prendre soin de ces équipes soignantes dans leur ensemble, en allant du chef de service à l'externe, au niveau médical, du cadre supérieur à l’élève, quel qu'il soit, au niveau paramédical. 

Bref, il y a un besoin de prendre soin de tout le monde parce que nous prenons tous dans la figure une crise extrêmement violente, inconnue de tous et qui risque de durer. Il faut donc ménager ses forces et essayer de pouvoir se mettre en situation de tenir le plus longtemps possible. Quoi qu'il en coûte.

DR MALLET : Êtes-vous prêts pour une potentielle deuxième vague ? Allez-vous maintenir la bulle va à Cochin après le déconfinement ?

DR HERVÉ LEFÈVRE : C'est une discussion qui est en cours. Au début déjà, la bulle n’était pas un pari gagnant pour tout le monde. Le fait que ce soit idée qui était partagée est un premier point très important pour la direction des ressources humaines puisque c'est avec elle que je travaille au-delà de la directrice de Cochin. Maintenant, il va falloir effectivement réfléchir à la suite.

Il est prévu que nous parlions de la bulle en cellule de crise cette semaine ou la semaine prochaine pour évaluer son impact et la possibilité qu'elle dure d'une façon ou d'une autre, en sachant, comme vous dites, que le déconfinement progressif a amené les différents participants à se redéployer dans leurs activités personnelles. 

Moi le premier, de façon à reconsulter des adolescents et de voir comment il est possible de maintenir ce lieu qui devient de plus en plus important pour les soignants dans la situation actuelle.

Peut-être que le déconfinement, s'il est suffisant, leur permettra de retrouver une respiration à l'extérieur de l'hôpital qui compensera les tensions accumulées. Mais dans le cas où ce serait difficile à faire, la bulle aurait effectivement encore toute sa place dans les prochaines semaines.

DR MALLET : D’accord. Avez-vous des soutiens extrahospitaliers ? Les gens connaissent-ils la bulle ? Se positionnent-ils pour vous soutenir ?

DR HERVÉ LEFÈVRE : Oui nous avons beaucoup d'aides. D’abord au niveau institutionnel et j'insiste dessus parce que je pense que sans l'appui de la direction et au plus haut niveau, les choses auraient été compliquées. Il y a eu un effet facilitateur majeur. 

Je ne suis pas du genre à faire trop de compliments, mais il est ici notoire que Aude Boilley Rayroles a été stratégique dans la mise en place de ce projet une fois qu'elle avait compris les enjeux que nous avions parlé les yeux dans les yeux.

Ensuite, la DRH s'est mise à disposition avec ses psychologues et assistantes sociales qui font une permanence, qui sont des superviseurs. 

Il y a eu beaucoup d'autres personnels mobilisés comme des pédiatres de la Fondation Santé Etudiants de France, des pédopsychiatres de Necker, des psychiatres de la Maison des Adolescents. Beaucoup de personnels sont présents et se relaient pour faire tourner la bulle. 

Ensuite, il y a beaucoup d'intervenants puisque ce sont eux que nous venons voir de façon préférentielle : la dizaine de kinés qui fait partie de la ressource sanitaire externe qui ont été volontaires pour venir. Je les ai rencontrés un vendredi après-midi, deux jours avant l'ouverture pour s’accorder et tout planifier. 

Il y a énormément de monde : des enseignants de pilates, des sophrologues, des personnes qui font du shiatsu. Nous sommes environ 25 ou 30 personnels qui accueillons à tour de rôle les soignants qui viennent à la bulle.

Concernant les aides, nous en avons eu de l'hôpital via la DRH, de gros groupes comme le Groupe Pasteur Mutualité ou de mécènes. Ce sont sponsors qui nous permettent de partager du café, des fruits, des jus, des produits laitiers. 

En bref, de partager des choses qui font plaisir et que nous distribuons dans le cloître en courant après les gens qui qui s’en précipitamment car ils sont pressés. Nous ne sommes plus dans les œufs de Pâques parce que là, il y a saturation de chocolat (rires) mais nous accordons beaucoup d’importance à ces moments d’échange au sens propre comme au sens figuré.

DR MALLET : C'est très intéressant. Y a-t-il d’autres bulles à votre connaissance ?

DR HERVÉ LEFÈVRE : Oui bien sûr ! Au début, l'idée de la bulle a précédé le nom. Nous cherchions un nom : « entre parenthèses », « entractes », etc. Mais nous trouvions que tout cela était bien moche.

Et en fait, c’est une interne urgentiste de notre service qui allait apporter du renfort en médecine interne à Saint-Joseph qui m'a envoyé un SMS en me disant : « Il y a une bulle à Saint-Joseph et cela ressemble beaucoup à ce que tu comptes mettre en place ».

À ce moment, il s'est trouvé que ce mot, « la bulle », était tout simplement génial. Je ne sais pas si c'est Saint-Joseph qui en a la primauté. Mais peu importe, c'est le terme qui convient.

DR MALLET : De  la bienveillance. Enfin !

DR HERVÉ LEFÈVRE : De la bienveillance, du soutien, de l'empathie. C’est soigner ceux qui soignent. Cela dit, nous ne sommes pas à la pointe du combat et il ne faut donc pas non plus donner trop d'importance à ce que nous faisons. 

Ce qui est ce qui est important, c'est ce que les soignants font au lit du malade. Ça, c'est le vrai combat. Nous, nous sommes plutôt dans l'intendance et dans le soutien.

DR MALLET : C’est formidable et ça fait aussi partie du système. Merci beaucoup, docteur. Voici maintenant la question d’un médecin généraliste à Bourg-la-Reine.

Je travaille dans un centre de soins où nous sommes 6 médecins généralistes et deux infirmières. Pour être tout à fait honnête, nous avons beaucoup donné pour le COVID ces six dernières semaines. Nous nous sommes bien organisés et tout s’est plutôt bien passé pour faire face à cette vague épidémique, mais nous avons énormément donné. 

Nous avons écouté notre premier ministre cette semaine et nous avons compris que ça n'allait pas être un sprint mais plutôt un marathon. Globalement, il faut s’attendre à une deuxième vague mais nous sommes aujourd’hui très fatigués. Que me conseillez-vous pour que mes équipes tiennent ?

DR HERVÉ LEFÈVRE : Nous sommes ici dans une situation un peu différente car hors hôpital, non institutionnelle, avec ses avantages et ses inconvénients.

Dans tous les cas, la première des choses à envisager est le repos des personnels. Il faut que certains puissent prendre des vacances avant que le feu ne reprenne s'il doit reprendre.Il faut probablement organiser des moments de repos de façon assez structurée, répartis entre les différents praticiens. 

Après, du fait du déconfinement, si les moments de détente et de repos sont insuffisants, il faut peut-être réfléchir à une bulle propre à chaque institution ou chaque cabinet médical. Ce serait un lieu de relaxation, de détente, de bien-être, de façon à pouvoir garder des forces, pouvoir continuer à lutter contre cette infection et contre ce rythme très soutenu.

Il faut aussi pouvoir limiter le risque que ces médecins tombent eux-mêmes malades du fait de la fatigue et des moindres précautions. Car nous savons qu’à force de beaucoup travailler, nous sommes amenés à moins nous protéger, à être moins systématiques et donc à risquer de tomber malade.

Il faut donc essayer d'agir sur les fonctions vitales que sont le sommeil, l'alimentation, et les choses qui permettent de réguler ou compenser les émotions que nous emmagasinons à travers les médias, notre patientèle, les relations, la famille, etc. Il faut impérativement trouver des moments pour se ressourcer.

Il faut voir si à Bourg-la-Reine, il y a des kinésithérapeutes susceptibles de pouvoir leur faire quelques massages, un sophrologue susceptible de pouvoir leur donner un moment de relaxation, quelqu'un qui puisse leur faire un peu de kinésithérapie douce ou du shiatsu ou n'importe quelle autre forme de médiation corporelle qui permet d'accéder à une détente. 

Sans aller voir un psychiatre chez qui ils peuvent s’effondrer de façon tout à fait légitime dans certaines situations et pour certaines personnes.

Tout cela pour tenir, tenir, tenir. Jusqu'au moment où une thérapeutique ou un vaccin aura pu prendre le relais. Cela va prendre un certain temps malgré les efforts qui sont réalisés par nos collègues en recherche.

DR MALLET : Il est donc important d’organiser nos plannings pour se retrouver ensemble, se parler, se poser dans un canapé, écouter de la musique et puis faire des activités physiques douces ressourçantes.

DR HERVÉ LEFÈVRE : Absolument. Et aussi être avec ses proches, si tant est qu’ils puissent encore supporter la présence de quelqu'un qui est susceptible d'avoir contracté le virus.

En effet, beaucoup de soignants, quels qu'ils soient, ont cette épée de Damoclès au-dessus de la tête qui peut être difficile à vivre vis-à-vis des proches et qui peut entraîner un sentiment d'isolement. 

Toutefois, si ce sentiment d'isolement n'existe pas, il faut profiter de ces moments familiaux : essayer de faire des choses ensemble pour mettre à distance cette ambiance COVID très envahissante.

DR MALLET : Envahissante, c’est le mot. Merci beaucoup pour ces conseils. Avez-vous un dernier grand message pour ce cas clinique ?  

DR HERVÉ LEFÈVRE : Nous avons tous découvert quelque chose d’inouï. Nous nous sommes tous précipités pour essayer d'agir sur cette maladie en espérant qu'elle serait de courte durée, ou en tout cas, pas aussi longue.

Beaucoup de forces ont été données pour soigner, pour sauver et souvent pour accompagner des deuils. Tout le monde y donc a laissé beaucoup, physiquement et émotionnellement.

Mais du fait que le combat risque de durer encore, il faut probablement changer de vitesse et essayer d'être plutôt sur un rythme d'endurance que sur le sprint engagé initialement. Il faut pouvoir s'adapter, s'ajuster aux poussées de l'épidémie - ou à quelque chose de plus contrôlé, j’espère – de façon à faire les choses progressivement.

Afin de pouvoir, a posteriori, dire que nous avons réussi à tenir parce que nous avons pu doser l'effort que nous demandait cette infection.

DR MALLET : Merci beaucoup. C'est très important ce que vous faites et nous n'hésiterons pas à vous rappeler si nos auditeurs nous font remonter des questions. Ou seulement essayer de faire notre propre bulle pour essayer de tenir sur le long terme.

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